Interview sans langue de bois avec Pascal Picault, chargé du plaidoyer à la FNADIR, la fédération nationale des directeurs de CFA. A l’occasion du Congrès (10-12 décembre à Nantes) où l’équipe Dokeos sera présente, nous l’avons interviewé sur tous les sujets chauds du moment : vote du projet de loi de finances 2026, réduction des NPEC, mesure de la qualité, gouvernance de l’apprentissage, bilan de la loi de 2018, digitalisation des CFA et 40 ans de la FNADIR.
Pascal Picault, quelle est votre mission à la FNADIR ?
J’ai été 22 ans directeur de CFA et donc autant, membre de la FNADIR. J’en ai été aussi président durant deux années. Puis j’ai décidé de réorienter ma carrière sur l’accompagnement. Aujourd’hui, mon action est différente, mais elle continue pour porter les valeurs de la FNADIR et de l’apprentissage.
Depuis deux ans, je suis chargé du plaidoyer pour la FNADIR. J’entretiens les relations avec les politiques, le Parlement, les acteurs, l’écosystème, les réseaux. J’anime aussi un groupe régional des référents du plaidoyer. Parce que le plaidoyer ça se passe au national mais aussi sur le plan régional.
Dans un communiqué, la FNADIR « alerte sur les conséquences majeures des coupes budgétaires annoncées pour l’apprentissage et la formation professionnelle. » Pouvez-vous dresser la situation actuelle des CFA et que savez-vous du projet de loi finances 2026 ?
La situation actuelle est effectivement tendue. Depuis 3 ans, nous vivons des réformes successives mais malheureusement il n’y a pas de vision politique sur le long terme.
Ces réductions de financement, de moyens, on les appelle comme on veut, mais cela signifie concrètement une réduction des niveaux de prise en charge. Nous avons subi trois baisses successives. Des mesures ont été prises pour aussi réduire les aides aux entreprises.
Dans le PLF 2026, il est prévu également des orientations pour baisser aussi les rémunérations des apprentis et une augmentation des charges. Le texte est passé cette semaine de l’Assemblée nationale au Sénat.
Heureusement, un amendement adopté a annulé la suppression de l’allègement des charges sociales pour les apprentis. Initialement, les parlementaires voulaient annuler complètement cet allègement de charges sociales pour les apprentis. Selon les calculs de l’ANAF, cela pouvait monter jusqu’à 200 € en net sur un salaire d’apprenti qui s’élève à peine à 1 000 €. Un apprenti en première année de CAP à 18 ans gagne entre 700 et 800 €. Donc il existe un risque très réaliste de désaffection de l’apprentissage par les apprentis. A priori, cet allègement est sauvé.
On est aujourd’hui dans une situation où la devise de « faire des économies » est en train de passer comme un rouleau compresseur, avec des coups de rabot complètement aveugles, sans projection de ce que ça veut dire concrètement. On s’attend à avoir encore un 4e coup de rabot malheureusement sur les niveaux de prise en charge. Le 3 novembre, nous avons rencontré la commission des finances du Sénat où nous avons défendu bec et ongles toutes nos positions. Ce que la FNADIR souhaite aujourd’hui, c’est un moratoire. Il ne faut plus toucher à rien.
Vous demandez une pause, une “année blanche” ?
Oui. L’idéal serait d’avoir une année blanche en 2026 : on ne touche à rien. Et nous, ce qu’on revendique, c’est d’avoir une véritable étude d’impact sur la politique publique de l’apprentissage avant 2027, donc avant l’échéance présidentielle et pour les 10 ans de la loi.
La loi de 2018 a permis de développer, mais elle a changé complètement les modèles économiques. Elle a introduit une dimension de concurrence. La concurrence a fait son œuvre. Mais la régulation par la qualité, l’autre axe de la loi, n’a pas produit d’effet. Il n’y a pas eu de vrais marqueurs de qualité.
La pédagogie de l’alternance n’est pas définie aujourd’hui. Alors que c’est le cœur de l’apprentissage. Nous, on revendique aussi de regarder la qualité de l’apprentissage sous d’autres angles : pas uniquement sur le prisme de l’insertion professionnelle ou du résultat aux examens. Les CFA qui ne sont satisfont pas aux critères qualité devraient peut-être ne plus être financées par les dispositifs publics.
Le PLF prévoit 2,4 milliards d’économies. Comment impactera-t-il les acteurs de l’apprentissage ?
Oui, 2,4 milliards pour le ministère du Travail – pas que sur l’apprentissage mais aussi la formation professionnelle. Plus de 50% de ces mesures vont peser sur l’apprentissage.
L’Insee a projeté 65 000 destructions de contrats d’apprentissage. Nous, on penche plutôt sur 100.000 apprentis en moins. On sera clairement dans un effondrement de l’apprentissage. Personne n’ose le dire, mais pour nous, c’est clair. Cela va entraîner la disparition de certains CFA. Notamment ceux qui accompagnent les publics les plus fragiles.
Parce qu’accompagner un CAP, un jeune éloigné, ça coûte plus cher. Le modèle économique va faire disparaître ces CFA-là. Selon France Compétences, 20% des CFA sont en grande difficulté. Pour moi, ces 20% risquent de disparaitre.
C’est un drame. Sur un territoire, si vous faites disparaître un CFA, je prends l’exemple d’une section de 12 apprentis boulangers : potentiellement, ce sont 10 ou 12 boulangeries qui disparaissent. Le rôle de cohésion, l’ascenseur social, la dynamique économique territoriale… tout ça est remis en cause.
Les parlementaires ne voient pas ces enjeux.
Au contraire, cet ensemble de mesures ne va favoriser que les CFA low-cost qui ne mettent pas la dimension humaine primordiale pour suivre de A à Z un apprenti qui par exemple, décroche en entreprise.
Quelles pistes et solutions proposez-vous aux acteurs publics au sujet du financement et de la qualité ?
Un moratoire. Une étude d’impact. Une régulation par la qualité. Et une définition des piliers de cette qualité.
On a aussi une charte de qualité de l’employeur FNADIR, qui rappelle les missions du CFA et les bonnes pratiques d’accueil. Certains CFA l’utilisent déjà.
Il faut revenir à une aide à l’effort de formation. Et peut-être conditionner certaines aides à l’engagement réel des entreprises dans le suivi de l’apprenti. Maintenir les aides oui, mais peut-être que maintenant, il devrait y exister une conditionnalité liée à un engagement dans le suivi tout au long du parcours d’alternance du jeune. Aujourd’hui, accueillir un apprenti, ce n’est pas accueillir un salarié traditionnel, c’est aussi s’engager dans sa formation.
Enfin, il faudrait remodeler le système de la gouvernance de l’apprentissage, une autorité ministérielle qui aurait des vrais pouvoirs de décisions et qui soit rattachée directement à Matignon.
La digitalisation, l’innovation, l’IA : est-ce que ce sont aujourd’hui des leviers concrets pour renforcer l’attractivité des CFA auprès des apprentis ?
Oui, clairement. Mais à condition de sortir d’un raisonnement simpliste qui oppose présentiel et distanciel. Nous l’avons dit : il ne faut pas réguler par la modalité, mais par la qualité. Un parcours 100 % distanciel qui affiche de bons taux de réussite, une insertion professionnelle solide et un vrai accompagnement humain… moi je signe tout de suite. Dans beaucoup de territoires ou de situations personnelles, le distanciel est même une condition d’accès à la formation.
Ce qu’il faut, c’est regarder dans le détail : asynchrone, synchrone, présence humaine, fréquence des rendez-vous, suivi individuel, interactions avec l’employeur… Ce n’est pas la même chose de « donner accès à une plateforme pendant 20 jours » en complète autonomie que d’organiser un point pédagogique au bout de cinq jours pour analyser les difficultés et ajuster le parcours. L’un est une simple mise à disposition de contenus, l’autre est une véritable pédagogie.
Et contrairement à une idée reçue, la digitalisation — et encore plus l’IA — permet justement de réinjecter de l’humain au bon moment, en libérant les CFA d’une partie des tâches administratives. Elle renforce le suivi, l’alerte, la personnalisation, et donc la réussite des apprentis.
D’ailleurs, une dynamique intéressante émerge : l’ISQ travaille sur un label digital responsable, qui permettra de distinguer les formations distancielles de qualité des simples dispositifs autoportants. Pour les CFA, ce sera un atout d’attractivité majeur : les jeunes y sont sensibles, les entreprises aussi.
Revenons à la FNADIR. Elle fête ses 40 ans. Pour quel bilan ? S’est-elle imposée auprès des acteurs publics ? A quoi faut-il s’attendre au congrès ?
Ce congrès arrive à un moment clé. La FNADIR s’est profondément transformée ces cinq dernières années : nous sommes passés d’une structure bénévole, parfois invisible, à une organisation professionnelle, reconnue et désormais systématiquement invitée à la table dès qu’il s’agit de parler apprentissage — au Sénat, dans les missions IGAS, auprès des OPCO, et plus largement dans tous les grands réseaux.
Aujourd’hui, la FNADIR compte une équipe dédiée – quatre salariés, dont une apprentie – là où il n’y en avait aucun il y a encore quelques années. Nous avons structuré un véritable service aux adhérents : animation régionale, appui territorial, accompagnement opérationnel, veille hebdomadaire, service, formation, mentorat, partage de pratiques… Ce qui vivait autrefois uniquement grâce à l’engagement bénévole repose désormais sur une organisation agile, durable et renforcée.
Nous entrons même dans une nouvelle phase : l’intégration du no-code et de l’IA dans nos pratiques internes. Je le dis souvent : l’IA est désormais le « troisième acteur » de la FNADIR, aux côtés des instances de gouvernance et des équipes. Cela nous permettra d’être plus réactifs, plus efficaces, et de dégager du temps pour ce qui compte vraiment : accompagner les CFA, défendre leur modèle et porter une parole structurée, crédible, audible.
Notre rôle, c’est de donner de la perspective, d’accompagner, de fédérer et de montrer que, malgré les turbulences, l’apprentissage reste une voie d’avenir, essentielle pour les jeunes comme pour les territoires.